Fred Cavayé avait réalisé Pour elle il y a deux ans. Un thriller bien de chez nous : des moyens limités, une durée courte mais du suspense sans artifices ni extravagances. Pendant que Pour elle est repris par le cinéma américain, Cavayé propose A bout portant. Les données sont les mêmes mais un pas a été franchi : maintenir un rythme soutenu d'action/suspense sans commettre d'erreurs. Le problème reste les interprétations et l'écriture du scénario.
Pitch
Tout va pour le mieux pour Samuel (Gilles Lellouche) et Nadia : lui est bientôt infirmier et elle attend son premier enfant. Mais tout bascule lorsque Nadia se fait kidnapper sous l'oeil impuissant de Samuel. A son réveil, son portable retentit : il a trois heures pour sortir de l'hôpital dans lequel il travaille, un homme sous surveillance policière. Le destin de Samuel est désormais lié à celui de Sartet (Roschdy Zem), une figure du banditisme activement recherché par tous les services de police. S'il veut revoir sa femme vivante, Samuel doit faire vite...
Tout de suite une course-poursuite, bientôt une caméra folle dans un escalator ou des intrusions de personnages dans le dos d'autres. Bien. Oui mais entre le spectacle proposé et ses aboutissements, il reste un dernier problème à résoudre pour Fred Cavayé, scénariste-réalisateur de ce A bout portant : le problème de l'interprétation et en amont, la question de l'écriture du scénario et l'évolution des personnages. Gilles Lellouche débute petitement puis montre une énergie qui lui pardonne tout. On attend beaucoup plus d'un tel personnage trituré par des éléments qui se déchaînent : malfrats, policiers, kidnapping d'un être cher. Dommage. Il est au centre d'un imbroglio réussi certes, et Fred Cavayé ne pond pas du « tout noir ou tout blanc ». Il nuance ou plutôt inverse les rôles. Bons ou mauvais, tout le monde montre son vrai visage. Malheureusement trop tôt. Le commissaire Werner est une banquise, tandis qu'un malfrat souffle le chaud. Que cela soit su pour la bonne cause de cet infirmier empétré dans une affaire plus forte que lui.
Non, Fred Cavayé n'a pas manqué ses personnages, il les a juste privé de la moindre évolution. Cavayé n'a pas manqué leurs rencontres inopinées : c'est un point fort servant la crédibilité du déroulement du film. Ce qu'il manque à Cavayé c'est de la direction d'acteurs, de la profondeur dans l'écriture de ses personnages (co-écriture avec Lemans) et de leur évolution. Gilles Lellouche peine à interpréter autre chose que le débonnaire. Cet homme dans l'impasse est censé être au bout du rouleau, au bord de la crise de nerfs. Mais quels sont ses regards, où sont ses traits creusés, où transparaît sa folie ? Le manque de profondeur dans les personnages a été confondu de façon générale, avec la banalité du personnage principal : une clef de tout bon thriller. Un Roschdy Zem muet ou un commissaire Werner abominable quoi qu'il advienne (G.Lanvin): cela l'est beaucoup moins. A part un subalterne de l'équipe du commissaire Werner, aucun ne bronchera.
L'audace française ici, c'est de faire comme les américains : mais en plus crédible dans son déroulement, ses scènes d'action. Oui sauf que l'audace américaine, quand ils en ont une au gré de polars réussis, c'est de laisser le spectateur dans l'attente le plus longtemps possible. Or, Cavayé démine tout son terrain d'entrée de film : des flics soupçonnables, un truand gentil. Et puis, comme dit plus haut, Cavayé ne fait évoluer personne tout au long de l'histoire. Un bon polar a toujours besoin de profondeur et de caractère dans ses acteurs, car c'est toujours là qu'un spectateur y cherche en premier une bouée, une confiance, un miroir dans lequel on s'identifie... ou pas. Ici, Cavayé ne dispose d'aucun personnage. Dommage. Attendons un troisième thriller bien français. Si ce ne sera pas lui et son équipe (Lemans -coscénariste-, Badelt -musique), qui d'autre ?
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