The Social network parvient à captiver sur un sujet qui n'intéresse pas grand monde : car si Facebook pèse soi-disant 25 milliards de dollars, ce n'est pas une entreprise aussi solide que le pressing tenu par votre voisin de rue... Mais comme il revend vos goûts, préférences, opinions, il intéresse beaucoup d'investisseurs et d'autres organismes plus anonymes, d'espionnage par exemple (lire cet article si vous voulez en savoir plus sur ce dernier point)
Pitch
Une soirée bien arrosée d'octobre 2003, Mark Zuckerberg, un étudiant qui vient de se faire plaquer par sa petite amie, pirate le système informatique de l'Université de Harvard pour créer un site, une base de données.
David Fincher permet à un sujet de geek de prendre l’ampleur d’un véritable thriller social brassant tous public. Il faut douter évidemment d’une mamie tentée par la chose. Mais en même temps s’était-elle déplacée pour Zodiac ou Se7en ? The Social Network nous conte la peu glorieuse ascension d’un étudiant peu glorieux d’Harvard, qui partant d’une idée en commun avec quelques collègues, se lance dans la matérialisation d’un concept relativement pathétique : un site de drague interne au campus d’Harvard. Aujourd’hui baptisé Facebook, et ironisé par nous autres rebelles français, sous un nom pas très doux de « face de bouc », nous plaçant tous sans le savoir dans le sillage de la création par un Français du site Face de bouc « marre d’être un mouton deviens un bouc », ce site « Trombinoscope » (Facebook) rassemble 500 millions d’utilisateurs dans le monde et permet, notamment et beaucoup, d’entrer en relation avec des gens que vous ne connaissez pas : par exemple en créant une application débile de type zodiacale ou rébus ; celles et ceux qui l’auront utilisé deviendront des sortes de connaissances pour vous (photos et persos, date de naissance, et même parfois un soupçon de CV de type quelle formation j’ai, d’où je viens, où je vais et qui j’aime).
Une idée donc de génie. Cependant n’allez pas mettre toutes ces vertus en la même personne de Zuckerberg. Le garçonnet, spécialisé informatique, débute en proposant à tout son campus de voter en ligne sur le degré torride qu’aurait un animal de plus qu’une étudiante d’Harvard, et même de classer les étudiantes selon un critère d’ « intelligence physique ». Ensuite il a ouvert son capital à des investisseurs qui détestent… investir à perte. Or, dans l’internet presque impossible de faire fortune actuellement si on ne vend des choses. Alors pourquoi pas vendre des infos, des idées, des préférences ou des goûts ? David Fincher créée une ambiance captivante : le film se vit. Par exemple, si la discussion dans la boîte de nuit entre le créateur de Napster et Zuckerberg est intéressante au sens où elle embarque le spectateur dans le monde de la réussite et des hautes sphères, c'est aussi la musique de la boîte de nuit, le montage et la manière de donner vie à ce nightclub qui vont donner le tournis : soit le temps de s'adapter à une autre vie, loin, très loin des poussières d'une chambre d'étudiant d'Harvard.
David Fincher réussit avec brio son portrait, au sens où maintenant, nous pouvons savoir à quoi nous jouons vraiment en postant sur facebook. Son créateur fait l’office d’un portrait saisissant. Croyant émouvoir l’œuf, ne flirte-t-on pas avec le bœuf ? Car s’il est de plus en plus su et entendu que tout n’est pas net en matière de propriété intellectuelle pour nous autres utilisateurs, cela s’adjoint à la personnalité de ce patron « des données », pour le moins ambigüe, jeune et plein d’irresponsabilités. Est-ce une maladresse que de permettre à ses amis de poster les photos qu’ils veulent de vous en taggant et précisant bien que le gars qui tient la bouteille d’absinthe là, c’est vous ? (alcool interdit en France). Que devient le droit à l’image sous le régime facebook ? Est-ce une maladresse que de rendre difficile de discerner l’endroit où on peut effacer l'historique d’un tchat ? Pourquoi tout paraît si simple sur Facebook alors que tout est très compliqué en réalité ? Parce que Facebook est une idée de génie, tout du moins géniale de modernisme : il est comme un téléphone auquel on n’est pas obligé de répondre, il suffit de bloquer les amis ou faux-amis en trop dans votre réseau.
Zuckerberg a comme qui dirait inventé la consommation de l’Homme. C’est pourquoi le personnage, tel qu’il est montré par Fincher est à la fois détestable pour son invention, et attachant en tant qu'inventeur. Mais loin de là sa capacité à captiver son monde durant deux heures. Il s’agit d’un informaticien isolé, travailleur certes, mais coupé d’un certain monde. Ses réalités de créateur ne sont pas vos fantasmes de sociabilité. Facebook est venu à vous, et non le contraire. Ne l’oubliez pas. David Fincher décrit, au pays de l’american way of life, la très conventionnelle réussite d’un homme faite au détriment d’autres beaucoup plus nombreux, qui ont envoyé Zuckerberg en procès. Mais finalement lesquels sont cons, lesquels ont été naïfs ? A ce petit jeu-là des oppositions procédurales, c’est encore Zuckerberg qui finit gagnant. Fincher savait que l’Amérique du box-office n’aime pas les loosers, lorsqu’il avait découvert le scénario. Ce portrait doit donc convenir au créateur de facebook.
Fincher fait le job : je revois encore cette course d’aviron d’habitude soporifique aux JO, devenir si captivante que j’en fais le symbole du film. David Fincher impose d’entrée de jeu une cascade d’échanges verbaux qui transpirent à max la pertinence du scénario de 400 pages qu’on lui a demandé d’adapter. Il maintient ce rythme de dingue de manière à ce qu’entre ce qui est important à retenir et ce qui l’est moins vous soyez toujours en train de danser. Et il mène sa barque comme ça jusqu’au bout. Pour au final avoir réussi à rendre cette tranche de vie de quelqu’un qui n’intéresse personne hormis ses détracteurs, intéressante. Chapeau !
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